Alors que la popularité du cinéma hongkongais est établie en France depuis plus de 10 ans (sorties des polars de John Woo, rétrospective Tsui Hark au Festival d'Amiens et à la Cinémathèque française, festivals thématiques sur l'ensemble du territoire, vidéos puis DVD…), il manquait cruellement un ouvrage de référence destiné à dévoiler aux plus curieux son histoire, son fonctionnement et ses principaux personnages. Il y eut certes des tentatives, certaines bien malheureuses et d'autres plus heureuses, mais rien de comparable à l'objectif encyclopédique que ce sont fixés les auteurs, Emrik Gouneau et Léonard Amara. Bien entendu, il est impossible de raconter cent ans de cinéma hongkongais en 562 pages, mais cette tentative unique n'en demeure pas moins riche et érudite.
Un bel objet… A une époque où Internet nous permet de nous informer sur tous les sujets pour un prix modique (et les sites consacrés au cinéma de Hong Kong sont très nombreux sur la toile), le livre doit séduire et regagner son statut de bel objet. Un ouvrage bâclé, à l'iconographie pauvre et la mise en page insatisfaisante, n'aurait que peu de chance de trouver son public.
Les éditions Les Belles Lettres n'ont pas fait cette erreur et l' Encyclopédie du Cinéma de Hong Kong nous est proposée dans ses plus beaux apparats : grand format 24x32, relié, couverture cartonné noire et distinguée, papier épais glacé, iconographie de qualité (les 300 photos sont nettes et n'ont pas l'air d'avoir été « volées » ici et là) et cahier couleurs de 16 pages reprenant des affiches de films hongkongais de tous pays.
… qui n'est pas trahi par son contenu
Une encyclopédie a pour objectif de « faire le tour de toutes les connaissances humaines ou de tout un domaine de ces connaissances et [de les exposer] selon un ordre alphabétique ou thématique (définition du Trésor de la Langue française informatisé (TLFI)). A ce titre, l' Encyclopédie du Cinéma de Hong Kong réussit son pari de nous présenter les caractéristiques majeures de cette industrie (les grands genres, les studios, les acteurs), tout en les replaçant dans leur contexte économico-historico-socioculturel (les interactions entre grand écran et petite lucarne, la conquête des marchés occidentaux, les résultats du box-office, la rétrocession de 1997…). L'ouvrage s'achève par une gigantesque liste de films – toutes les œuvres produites par Hong Kong depuis la naissance du cinéma local -, seule partie pouvant prêter à polémique car sans grand intérêt ni réelle valeur ajoutée pour le lecteur (La filmographie s'étend sur 176 pages, soit pratiquement un tiers du livre !).
Passons maintenant en revue les grandes parties de cette encyclopédie :
Première partie - Histoire du cinéma de Hong Kong : les genres
Les auteurs abordent intelligemment et avec force détails le film de sabre, le film de kung-fu, le mélodrame cantonais, la comédie cantonaise, le film d'opéra, le film de fantômes, le polar, la catégorie III et quelques niches locales (les films musicaux mandarins, les « Jane Bond films », etc.). De courts encarts informatifs viennent enrichir avec pertinence ces articles sur des points bien précis : « Tradition du monastère de Shaolin du Sud : mythes et légendes », « Le baiser tabou ? », « Les films de songgun », « Les gunfights », « La Nouvelle Vague à la télévision », etc.
Chaque genre est replacé dans son contexte historique et les différents courants qui le composent bien identifiés. Des œuvres représentatives sont également citées.
En 90 pages, les auteurs réalisent un incroyable travail didactique sans jamais céder à la vulgarisation abêtissante.
Deuxième partie - Histoire du cinéma de Hong Kong : les studios
L'histoire du cinéma hongkongais a été en partie écrite par de grands studios qui, à l'instar de leurs cousins américains, ont imposé leur style et leur système. A ce titre, ils méritent d'être étudiés comme on le ferait pour des réalisateurs ou des acteurs.
Sur près de trente pages, les auteurs nous présentent les principaux studios de l'industrie cinématographique hongkongaise. La Shaw Brothers hérite de plus d'un tiers de ce chapitre, ce qui peut paraître normal, mais on déplorera le survol des deux grands rivaux, la MP &GI – Cathay (deux pages) et la Golden Harvest (deux demi pages…). Sont ensuite listés studios et sociétés de production, chacun bénéficiant d'une biographie et certain d'une photo : un remarquable travail quant on connaît la difficulté à obtenir des informations à leur égard.
Troisième partie – Les acteurs du cinéma hongkongais
Ce très conséquent chapitre (près de 180 pages) est une mine d'information sur les principaux faiseurs du cinéma de l'ancienne colonie. Chaque personne citée a droit à une biographie, de quelques lignes à près de 9 pages (évidemment, ce traitement est réservé à Jackie Chan !) selon la place qu'elle occupe dans l'industrie. Il eût peut-être été plus pertinent, comme Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans « Cinquante ans de cinéma américain », de s'attarder au contraire sur les acteurs les moins étudiés dans la littérature sur le genre… mais cet avis concerne probablement les plus érudits en la matière.
Outre un classement très nébuleux (les acteurs sont catégorisés en « touche-à-tout », « inclassables » (sic), « beautés fatales », « comiques », « les oubliés », etc.) heureusement corrigé par un sommaire des plus clairs, on pourra reprocher à ce très beau travail l'absence de photo pour la majorité des personnes. Quelle difficulté pour le néophyte, lorsqu'il lit l'article sur Wong Yu, de savoir à qui il est fait allusion… Un portrait lui aurait tout de suite permis de faire le lien entre le texte et le jeune trublion qui défie Ti Lung dans The Master Strikes Back !
Au total, 500 fiches biographiques informatives agréables à lire et parfois agrémentées de potins et d'avis personnel (il est tellement rare, dans un ouvrage de ce type, de voir employée la première personne du singulier !).
Quatrième partie – Zooms sur…
En une quinzaine de pages, les auteurs abordent un certain nombre de thèmes qu'ils estiment notables pour notre compréhension du cinéma hongkongais : « les liens entre médias (télévision, musique et cinéma) », « la musique, point faible du cinéma de Hong Kong » (ça n'engage qu'eux…), « la postsynchronisation », « le cinéma hongkongais et le marché international », « la transition chinoise », « nostalgie et commémoration » et « le déclin ».
Ces notules, sorte d'inventaire à la Prévert, s'apparentent à de petites pistes de réflexion. Intéressantes, elles ne sont cependant pas assez développer pour être totalement convaincantes : au lecteur de creuser le sujet !
Documents
Constituée de 220 pages, cette partie rassemble tout un tas d'informations « officielles » (et donc seulement mises en forme dans le présent ouvrage) sur le cinéma hongkongais. On retrouve ainsi le box office local de ces 35 dernières années, les palmarès des Hong Kong Films Awards des 25 dernières années, la filmographie exhaustive de la production hongkongaise de 1913 à la mi 2006 (soit 9463 films) et un hallucinant classement des dix plus grands films chinois dans lequel on ne trouve qu'un seul film antérieur à 1986 (The Love Eterne, 1963) !
Repères
4 pages de glossaire, mêlant mots relatifs au cinéma hongkongais (PTU, SDU…) et plus généraux (travelling, septième art…).
Des informations sur la pratique du cantonais et quelques mots et phrases traduits en français.
Une belle chronologie du cinéma hongkongais, de 1907 (naissance de Run Run Shaw) à 2006.
Une « fiche d'identité sur Hong Kong » avec de brèves données géographiques et historiques.
Une bibliographie.
Un index.
En conclusion, l' Encyclopédie du Cinéma de Hong Kong est une belle réussite et un outil indispensable à qui s'intéresse de près ou de loin au cinéma de l'ancienne colonie (et même plus largement à qui s'intéresse au cinéma !). Riche, à l'iconographie soignée – on y trouve de superbes et rares photos -, cet ouvrage unique en France est un achat indispensable !
David-Olivier Vidouze (octobre 2006) |