Petite chanteuse n’ayant même pas fini son lycée au début des années 50, Mona Fong au tournant du XXI siècle est l’une des femmes les plus riches et influentes de Hong-Kong. Cette destinée remarquable, elle le doit à ses liens étroits avec le nabab Run Run Shaw fondateur des grands studios Shaw Brothers dont elle fut le bras droit et la compagne pendant des décennies. À partir des années 70, elle l’aura épaulé dans sa gérance de son studio et plus tard de la chaine de télévision dont il était le président et principal actionnaire : la TVB. Figure controversée au sein de l’industrie du divertissement hongkongais, il est indéniable qu’en bien ou en mal Mona Fong aura joué un rôle dans le développement du cinéma local. La chanteuse de Shanghai. Née Li Menghai à Shanghai en 1934, la future Mona Fong est la fille de Fang Wen-xia une danseuse reconnue des salles de danse de la métropole. Sa mère et elle émigrent à Hong-Kong à la fin des années 40 et enfant de la balle, elle devient également une danseuse puis une chanteuse de cabaret sous le nom de Fang Yi-hua. Elle est alors âgée d’environ 16-17 ans. C’est dans un night-club de Singapour en 1952 qu’elle fait la rencontre d’un admirateur particulier appelé à changer sa vie Run Run Shaw. Ce dernier est un des membres d’une fratrie qui dirige un immense empire familial lié à la production et distribution de film.
Au cours des années 50, Fang Yi hua devient une des chanteuses les plus appréciées de son époque parmi le public de la diaspora chinoise. C’est qu’elle joue sur un répertoire de chansons populaires tant mandarin qu’anglais évoquant le Shanghai cosmopolite de l’avant-guerre. Elle transite au cours de sa carrière entre Hong-Kong et Singapour et on l’invita même à une occasion à faire une tournée aux États-Unis. Elle signa également des contrats auprès de maisons de disques tant à Hong-Kong qu’en Grande-Bretagne.
Au cinéma elle est apparue dans un film musical au côté de sa bonne amie la chanteuse Carrie Ku dans A Thousand Flower Bloom en 1956. Toutefois, mis à part cela, ses apparitions dans des films semblent s’être limitées à des petits caméos de chanteuses notamment dans la classique Mambo Girl, the Lark (1965), The Wedding et Sing High Sing Low. Elle chanta également des chansons thèmes de plusieurs films Shaw.
Si la carrière de Mona Fong en tant que chanteuse bénéficia du soutien même occulte de Run Run Shaw n’a pas été documenté, mais semble vraisemblable.
Après presque vingt années, la carrière de chanteuse de Mona Fong prit fin à la fin des années 60.
L’ascension de Mona Fong chez les Shaw Brothers
La première intervention directe reconnue de Run Run Shaw dans la vie de Mona Fong fut de la placer à la tête du service d’achat de la Shaw Brothers en 1970. Satisfait des résultats, il la promut ensuite au service des accessoires.
Le directeur de production de la Shaw Brothers et principal bras droit de Run Run Shaw, Raymond Chow prend ombrage de cette série de promotions éclairs et redoute l’influence de cette nouvelle venue sur son patron. Il faut dire que l’arrivée de Mona Fong au sein du studio survient en plein milieu d’une situation de crise commerciale fragilisant les studios à travers l’Asie du Sud-est incluant la Shaw. Enfin de compte, l’ascension de Mona Fong fut l’une des raisons qui amenèrent Chow à quitter la Shaw pour aller fonder la Golden Harvest. Non seulement la Shaw perdait alors un de ses meilleurs éléments, mais par-dessus le marché celui-ci devenait un nouveau compétiteur. Run Run dut alors commencer un travail de renouvellement et de restructuration majeure de son entreprise à laquelle Mona Fond allait participer, bien que les détails de cette implication n’aient pas tous été documentés. Ce qui est certain, c’est qu’elle intercéda le retour du grand metteur de Li Han Hsiang au sein de la Shaw Brothers. Celui-ci avait été jadis un des piliers du studio avec une série de brillants films à costumes avant de brusquement claquer la porte en 1964 et poursuivre sa carrière à Taiwan. Grâce aux efforts de Mona Fong, Li revint à la Shaw et prouva très vite sa valeur avec une nouvelle série de films à succès.
C’est en 1973 que Mona Fong devient la nouvelle directrice de production des studios, une fonction qui officialise son statut en tant que bras droit de Run Run Shaw qu’elle va occuper pour des décennies à venir. C’est là une élévation inédite pour une femme dans le milieu du cinéma à l’époque, pas seulement à Hong-Kong, mais à travers le monde. Une fois en poste elle impose des coupes drastiques dans la production de films tant au niveau de la durée des tournages que les budgets alloués aux costumes, décors et accessoires. Cette initiative couplée avec la micro gestion rigoureuse de Fong contrarie beaucoup de monde au sein du studio des metteurs en scène aux artisans en costumes et décors.
Sous la gouverne de Mona Fong, la Shaw Brothers évolue vers un cinéma d’exploitation plus racoleur constitué de comédies dévergondées, de films policiers/criminels et d’horreur.
On était alors bien éloigné du cinéma prestigieux et très classe ayant eu cours dans les années 60. Toutefois, malgré les doutes et l’hostilité suscitée par la nouvelle gestion de Mona Fong, la Shaw Brothers n’en retrouve pas moins la voie du succès après une longue période d’incertitude et d’instabilité,
Controverse et malversation autour de Mona Fong et de sa gérance de la Shaw Brothers
L’ascension rapide de la nouvelle directrice grâce à ses liens intimes avec le grand patron ajouté à ses demandes exigeantes ont contribué à former l’image d’une parvenue doublée d’une harpie despotique digne des vieux fantasmes masculins et patriarcaux portant sur les concubines intrigantes de la Chine impériale. À ce bagage initial déjà très lourd, il faut ajouter ce bon vieux préjugé/double standard sur les femmes patrons qui semble universel : « un homme qui mène avec autorité est un chef, une femme qui fait de même est une garce ». Face à ce double fardeau misogyne, il n’est pas étonnant que Mona Fong soit une figure controversée sur lequel court bien des malversations. Ainsi une des rumeurs les plus prévalentes qui court sur son compte est qu’elle aurait nui à la carrière de jeunes actrices déjà établies et aurait empêché l’avènement d’une nouvelle génération de vedettes féminines afin de prévenir la concurrence du beau sexe auprès de Run Run Shaw. Cette allégation trouve sa base dans le déclin dans les années 70 du vedettariat féminin jadis prévalant chez les Shaw. En fait, ce changement particulier et bien d’autres déconvenues à la Shaw durant cette période sont plus vraisemblablement imputables à l’évolution du marché et des gouts du public, plutôt qu’aux actions douteuses d’une intrigante.
D’un autre coté, il faut reconnaitre que Mona et sa gestion ont fait bien des mécontents : le metteur en scène coréen Jeong Chung Hwa préféra poursuivre sa carrière à la Golden Harvest plutôt que de continuer dans un studio Shaw maintenant géré par Fong. Aussi, le journaliste écrivain Grady Hendrix a déjà affirmé sur Facebook que parmi toutes les personnes qu’il a rencontrées ayant travaillé pour la Shaw Brothers aucun d’entre eux n’avait des bonnes choses à dire sur Mona Fong.
Ceci dit, c’est également sous la gérance de Fong que Chor Yuen et Lau Kar-leung purent constitué leur cinéma martial. C’est Mona Fong elle-même qui invita d’ailleurs Lau à devenir un metteur en scène pour la Shaw. Un brillant coup de maitre, car avec lui, la Shaw avait trouvé celui qui allait être un des piliers les plus solides et constant non seulement pour le studio, mais pour le genre martial lui-même. Hua Sheng, Sun Chung et Kuei Chieh-hung sont parmi d'autres les nombreux metteurs en scène qui firent une carrière importante chez la Shaw durant la période Mona Fong.
Malgré tout le mal qu’on a pu dire sur elle, le bilan de Mona Fong sur la Shaw semble donc loin d’être négatif.
Temps difficile pour la Shaw Brothers.
C’est à partir de 1977 que le nom de Mona Fong commença à apparaitre dans les films Shaw soit comme Producrice ou production manager. Au total, son nom apparait sur deux douzaines de titres par année pour un total d’environ 250 bien que le rôle exact qu’elle joua dans la production de ces films ne soit pas vraiment connu.
En 1981, Mona Fong rejoignit le conseil de direction de la Shaw Brothers, ce qui dut accentuer encore davantage son rôle dans la gérance de l’entreprise. Malheureusement, les temps difficiles étaient revenus depuis quelques temps pour les Shaw avec l’avènement d’une nouvelle génération de studios et de vedettes plus aux gouts du public. De studio dominant, la Shaw se trouva en quelques années à connaitre une dégringolade commerciale à la fois rapide et constante. Le système de productions intégré par la Shaw était trop lourd pour suivre les nouvelles tendances populaires efficacement et aucune initiative pour retrouver les faveurs du public ne parvient à renverser la vapeur. Une des tentatives les plus inédites par Mona Fong fut de recruter en 1984 Ann Hui, une des réalisatrices les plus renommées de la « nouvelle vague » filmique de Hong-Kong afin d’injecter un peu de sang neuf dans les veines sclérosées des studios. C’était, semble-t-il, trop peu et trop tard.
N’étant plus une entreprise de production filmique rentable, la Shaw Brothers cesse l’ensemble de ses activités, bien qu’elle continue d’exister, du moins avec son nom et que ses installations et son personnel soient maintenant affectés à la production de séries TV.
Mona Fong à la TV, productrice de films avec Run Run.
Par la suite, Mona Fong poursuivit sa carrière dans le nouveau fief de Run Run Shaw : la chaine de télévision TVB dont elle devint la directrice en 1988.
La cessation de la production de films de la Shaw Brothers de même que son nouveau poste à la télévision ne mirent pas fin à ses activités au cinéma. Elle continue de produire des films en devenant la « senior executive director » de la Shaw Brothers notamment à travers une nouvelle société succursale de l’organisation Shaw : la Cosmopolitan Film Production co.
C’est ainsi qu’en 1988 elle est la productrice de Painted Faces la biographie romancée des jeunes années de Jackie Chan et de ses condisciples les « Sept petits bonheurs ». À partir de 1992, elle produit également une poignée de films de Johnnie To et Stephen Chow.
Ces liens avec Run Run Shaw continuent d’être très étroits, car en plus de le servir comme bras droit, elle gère également ses affaires tant publiques que privées. Au sujet de sa relation avec Run Run, Mona Fong a expliqué une fois lors d’une entrevue qu’elle voyait en lui un mentor, un patron, un père, un ami, un frère et que cela ne la dérangeait pas de ne pas être mariée avec lui.
C’est pourtant ce qui finit par arriver le 4 juin 1977 à Las Vegas en 1997 presque 45 ans après leur première rencontre. Run Run avait alors 91 ans et sa nouvelle épouse 63.
Les dernières années : EN 2002, Mona devient présidente députée de la TVB (deputy chairman) et en 2009 « general manager » de la chaine. Bien que Run Run ait une famille, c’est Mona Fong qui semble s’imposer comme la véritable héritière de son vaste empire commercial.
En 2004 elle convainc Run Run de fonder les prix portant son nom, une version asiatique du prix Nobel donné dans le domaine de l’astronomie, la médecine et la physique.
Ayant amené Lau Kar-leung à faire son premier film de metteur en scène, Mona Fong boucle la boucle presque trente ans plus tard en produisant en 2003 ce qui sera son dernier film en tant que réalisateur : Drunken Monkey.
Dans les années 2000, elle est occasionnellement impliquée dans la production d’autres films : Moving Targets en 2002, 72 Tenants of Prosperity en 2010 et ultimement Triumph of the Sky en 2015.
C’est en 2012 que Mona Fong démissionne de ses postes à la TVB et entre dans une semi-retraite au côté de Run Run. Ce dernier décède en 2014 à l’âge de 107 ans. Mona Fong elle-même s’éteint tranquillement dans un hospice de Hong-Kong en 2017 à l’âge de 83 ans.
Sources : Hong Kong Film Archive The Shaw Screen A prelimary Study: Entrée biographie Mona Fong. Grady Hendrix Facebook. (à suivre) Mona Fong avis nécrologique. (a suivre)