HKCinemagic : Vous avez l’habitude de travailler toujours avec les mêmes acteurs. Vous pensez déjà aux comédiens quand vous avez une idée du film ? Pour Mad Detective par exemple, pensiez-vous déjà à Lau Ching Wan dès le départ ? |
Johnnie To : Bien sûr, j’ai une idée de l’acteur qui va incarner le rôle. Mais cela ne veut pas dire que je vais créer un personnage en fonction de l’acteur que j’ai en tête. Mes films sont aussi centrés sur les personnages d’un certain âge, en général des hommes mûrs. Quand j’invente le récit, je pense aux personnages, puis je me demande ce que les acteurs choisis devraient faire. Je ne pense pas d’abord aux acteurs avant d’avoir les personnages. Pour Mad Detective par exemple, je n’ai pas pensé à adapter le rôle de l’inspecteur Bun en fonction de ce que je connaissais de Lau Ching Wan.
Les comédiens qui travaillent avec moi ne sont pas des jeunes. Ils ont tous plus de 30 ans, certains approchent même la cinquantaine. La plupart ne sont pas d’immenses vedettes, mais ils sont incontestablement d’excellents comédiens. |
Lam Suet dans PTU |
HKCinemagic : Lam Suet est un acteur incontournable de vos films. Mais il y joue un rôle très particulier : c’est souvent le bouffon, le type qui se fait tabasser. Vous lui faites jouer ces rôles parce qu’il vous devait de l’argent ou parce qu’il vous a piqué une copine ? |
Johnnie To : (Rires), Ah lui !? Il est bon et serviable ! Un type très pratique pour moi ! Il est mon côté facétieux, enfantin, comique… Lam Suet peut tout faire dans mes films. Je me sers souvent de lui pour montrer mon côté espiègle, farceur. Je me sers aussi de lui pour montrer ma vision de la vie. Quand j’ai quelque chose de personnel à dire, quand j’ai envie d’alléger un peu le propos du film, je fais passer ce message à travers le personnage de Lam Suet. |
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HKCinemagic : Vous aimez aussi faire jouer Wong Tin Lam dans vos films. |
Johnnie To : Comme vous le savez sans doute, Wong Tin Lam a été mon maître à la T.V.B. Ringo Lam a aussi été son disciple à l’époque. J’ai tout appris du métier de réalisateur auprès de lui. [ndr : Johnnie To faisait partie du pool des réalisateurs des plus grandes séries de la T.V.B. produites par Wong Tin Lam et écrites par son fils Wong Jing dans les années 1970-1980] Je le respecte beaucoup. Comme à présent il s’ennuie chez lui, je le sors et l’emmène sur mes plateaux. Pour le distraire un peu, je le fais jouer dans mes films. Le pauvre vieux, il commence à perdre la mémoire… |
Wong Tin Lam dans The Mission
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HKCinemagic : Vous avez l’habitude de travailler avec le chorégraphe Yuen Bun. Pourquoi lui ? |
Johnnie To : Parce qu’il est obéissant ! C’est un type cool. En fait, je travaillais beaucoup avec Ching Siu Tung auparavant. Nous nous sommes connus à la T.V.B., sur les séries télévisées ; j’étais réalisateur et lui le chef des chorégraphes des scènes d’action. Puis Ching Siu Tung est devenu réalisateur à son tour. Aujourd’hui, il s’est tourné vers la Chine. Yuen Bun, je l’ai aussi connu à la T.V.B. En général, je conçois les scènes d’action de mes films tout seul. Je ne fais pas de story-boards : tout est dans ma tête. Souvent, il n’y a pas de chorégraphe sur le plateau. Mais quand c’est vraiment trop compliqué ou dangereux, j’appelle Yuen Bun à la rescousse. On se connaît depuis si longtemps. Je lui décris la scène que j’ai en tête et je le laisse se débrouiller. |
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HKCinemagic : Qui a eu l’idée de la coupe de cheveux de Chow Yun Fat dans All About Ah Long ? C’était lui ou vous ? |
Johnnie To : C’était moi. Ça vous fait rire, mais dans les années 1970, les garçons avaient vraiment cette coupe de cheveux. |
Chow Yun Fat dans All About Ah Long |
HKCinemagic : Les cinéphiles espèrent que vous alliez retrouver Chow Yun Fat. |
Johnnie To : Oui, je le sais bien. Mais le problème, c’est le scénario. Vous le savez : je travaille sans scénario. Et Chow Yun Fat, aujourd’hui, travaille surtout en Amérique : là-bas, tout est planifié à l’avance ; ce n’est pas vraiment dans mes habitudes. Chow Yun Fat, je l’ai connu à la T.V.B. au début des années 1970 : nous suivions ensemble les cours d’art dramatique au sein de la chaîne. Nous nous connaissons depuis si longtemps. Il me dit souvent : « To, t’es sympa, je veux bien retravailler avec toi, mais donne-moi au moins un semblant de scénario ! » (Rires). |
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HKCinemagic : Vous n’avez pas conservé un bon souvenir de vos collaborations avec Stephen Chow ? |
Johnnie To : Je trouvais Stephen Chow très talentueux comme acteur. C’est un vrai génie. Mais quand un comédien, parce qu’il a du succès au box-office, se permet de donner des leçons de mise en scène à un réalisateur, ça devient déplacé. Soit on est acteur soit on est réalisateur. On ne peut pas recruter un réalisateur pour ensuite se mêler de son travail. Ce n’est pas parce qu’on est un bon acteur qu’on a forcément des compétences pour la réalisation. Le problème s’est résolu depuis que Stephen Chow a fini par réaliser lui-même ses films. |