a) Le monde des arts martiaux
Dans Swordsman 3 : Est Is Red, un guerrier chinois s'envole sous les yeux éberlués d'un conquistador espagnol. " Comment a-t-il fait cela ? " demande-t-il alors à son allié chinois. Celui-ci lui répond de ne pas s'étonner, que c'est parce que ce guerrier appartient au monde des arts martiaux.
Je ne crois pas qu'il n'y ait un équivalent à ce concept dans notre culture. Enraciné dans une longue tradition littéraire, il désigne l'univers des chevaliers chinois. Mais loin d'en donner une représentation réaliste et historique, il offre une vision mythique et philosophique de cette caste de la société.
Comme la chevalerie européenne, le monde des arts martiaux chinois repose sur le code de l'honneur et les valeurs qui s'y rapportent. Le chevalier est loyal et doit mettre son épée au service d'une noble cause. Mais à la différence des chevaliers européens, qui ne disposent que de leur force et leur habilité au combat, les chevaliers chinois possèdent une arme supplémentaire pour vaincre : leur force intérieure.
Il s'agit d'un pouvoir spirituel qui leur confère des capacités surhumaines et qui les distingue du commun des mortels. Le guerrier peut ainsi utiliser sa force intérieure pour voler, se déplacer à des vitesses incroyables, porter des objets gigantesques, survivre à des blessures normalement mortelles... Bien plus efficace que la force physique, ce pouvoir est directement lié à l'expérience acquise au cours des aventures. Parfois un objet magique ou une technique spéciale que connaît un maître ou que renferme un livre permet de décupler les forces du guerrier en très peu de temps. Dans ces circonstances, un vieillard est donc tout à fait capable de vaincre un jeune chevalier, si sa force intérieure est supérieure à son adversaire bien sûr.
Bien que porté par de nobles idéaux, le monde des arts martiaux est constitué d'une multitude de clans qui ont chacun leurs propres plans pour arriver à les imposer. Enjeux de luttes incessantes, ils divisent les chevaliers, attisent les rivalités. Lieu de pouvoir, le désir de domination suscite l'appétit des tyrans. Souvent plus proche du chaos que d'un monde unifié, le monde des arts martiaux attend le héros qui sera capable d'instaurer un ordre correspondant à l'idéal chevaleresque.
b) Wu xia pian et surnaturel
La littérature puis le cinéma ont toujours très largement idéalisés la chevalerie chinoise, transfigurant volontiers le réel pour en offrir une vision volontairement fantaisiste. Certains associent le terme " fantastique " au wu xia pian. Historiquement le fantastique désigne les récits qui cherchent à faire douter le lecteur sur la réalité des événements racontés. A ma connaissance, seul Butterfly Murders répond à cette définition, Tsui Hark s'amusant à mettre en scène une histoire de papillons tueurs dont il est bien difficile, pendant une bonne partie du récit, de distinguer le vrai du faux, le naturel du surnaturel.
Le wu xia pian n'est pas fantastique puisqu'il ne se préoccupe pas ou très peu de la réalité. La Chine ancienne qu'il met en scène est complètement fantasmée. Son histoire est à peine évoquée, quand elle l'est ; les figures historiques sont idéalisées. Ce que certains appellent hâtivement " le fantastique " se rapporte en fait aux éléments merveilleux que l'on trouve dans tous les wu xia pian.
Ces éléments merveilleux sont de deux ordres. Soit le réalisateur se contente d'utiliser quelques transgressions au réalisme pour rendre son film plus spectaculaire. Il fera alors bondir ses héros à des hauteurs étonnantes ou dans les plus grand moments de bravoure, ils s'envoleront pour détruire leurs ennemis. Plus sage que les combats décrits dans les livres, ce genre de choix peut également relever des limites techniques qu'impose le cinéma, notamment dans les années 70, époque à laquelle les effets spéciaux sont extrêmement rudimentaires.
L'autre possibilité consiste au contraire à démultiplier les effets merveilleux en matérialisant la force intérieure sous forme de pouvoirs spéciaux. Aidée par les possibilités qu'offrent les effets spéciaux modernes, la dernière vague du wu xia pian a largement usé du merveilleux. Néanmoins, il ne faudrait pas penser qu'il existerait deux formes du genre. Il s'agit avant tout plus d'une question de degré qu'une question de nature. Fondamentalement le merveilleux fait partie du wu xia pian.
c) Wu xia pian et kung fu
Si les films d'arts martiaux ont été divisés en deux appellations, d'une part le wu xia pian et d'autre part les films de kung fu, c'est que ces deux sous-genres répondent à des objectifs différents. Au premier abord on pourrait penser que le premier concerne le combat au sabre et le deuxième le combat à mains nues. Ce critère reste néanmoins insuffisant, la pratique des arts martiaux se basant à la fois sur ces deux modes de combat.
Ce n'est pas tant la manière de combattre qui distingue ces deux genres qu'un état d'esprit vis-à-vis des arts martiaux. Le film de kung fu met en scène des civiles tandis que le wu xia pian se focalise sur des militaires, et en particulier les chevaliers chinois. Mais surtout le film de kung fu privilégie les thème de l'apprentissage des arts martiaux, du rapport entre le maître et l'élève.
Le wu xia pian, lui, s'intéresse essentiellement à la question du pouvoir que permet d'obtenir la violence. Tout y est question de domination, de supériorité guerrière. Le wu xia pian est surtout politique et érotique, deux domaines où la question du pouvoir sur autrui est fondamentale. Dans ce contexte, le wu xia pian s'apparente à un récit guerrier tandis que le film de kung fu relève plutôt du récit d'initiation.
Laurent Henry (juillet 2000) |