Pour définir ce terme qui a quelquefois été un peu galvaudé, il faut d'abord retourner à ses sources, à ses origines orales et littéraires, pour enfin essayer d'obtenir les éléments cinématographiques essentiels du wu wia pian. Enfin, je vous donnerez une biographie succinte des différents articles parus en France sur le sujet.
a) Les origines du Wu Xia Pian :
J'ai recherché dans pas mal de bouquins que je possède, mais je n'ai trouvé une fois de plus que les frères Armanet pour vous expliquer de la meilleure façon les origines du wu xia pian. A plusieurs reprises, ils parlent de ce genre marquant et à un moment, ils abordent les origines du "ciné kung-fu" (p 28 à 30). Je me suis donc permis de vous retranscrire un extrait de leur livre :
Les héros de l'art martial n'ont jamais cessé de bercer l'imaginaire des Chinois. Depuis des siècles, ils nourrissent les thèmes les plus populaires de production culturelle de l'Empire du Milieu, autour de deux mondes, l'un réel, le Jiang Hu ou monde des itinérants, l'autre rêvé, le Wu Lin, monde des chevaliers ou de l'art martial.
Le Jiang Ju est un univers rigide où chaque individu, du barbier au premier ministre, trouve place sur une place précise de l'échiquier de la hiérarchie sociale. Parallèlement s'épanouit les monde des hors-la-loi (Lu Lin) divisé selon le type de "bandits" : fantassin, cavalier ou pirate. Hors de la hiérarchie de ces mondes cadenassés apparaît celui des chevaliers errants qui vivent selon leur propre éthique. La première mention qui en est faîte dans les "écrits de l'historien" de Sima Quian (II° siècle av. J.-C.) les dépeint sous un jour glorieux. L'écrivain Huan Fei en fait l'une des "cinq pestes de la société". Mais rapidement le monde des chevaliers s'érige en un univers autonome et idéalisé où des héros doués de pouvoirs magiques mettent fin aux injustices. Tout ce que la réalité ne peut contenir prendra corps dans cette extrapolation du Jian Hu et sera colporté par les conteurs ambulants et les romanciers populaires. Une aura entoure les sociétés secrètes et leurs chefs suspectés de pouvoirs magiques (Sheng Gong) dont le plus redoutable est celui de "la paume" (Zhang Fa). Pouvoirs décrits pour la première fois dans "Les Cinq Tonnerres de la Paume", un roman martial de l'époque Ming.
Le Wu Lin s'enrichit des désordres du Jiang Hu. La Chine, régie par la loi du plus fort, est l'arène rêvée pour le héros martial. Les métiers d'homme d'escorte et de garde du corps prolifèrent. Un combattant de haut niveau et ambitieux peut y gagner gloire et fortune. Mais le moyen le plus expéditif pour y parvenir est de gagner un tournoi d'art martial (Da Leitai). Une pratique remontant à l'époque des Royaumes combattants selon le "Jin Tai Chuan", un conte oral de l'époque Song. Les tournois, marginaux à leur origine? s'institutionnalisent sous les Yuan afin de canaliser la violence. Les rencontres se feront dès lors à l'occasion de processions religieuses.
En fait, toutes les dynasties ont produit une littérature importante sur le sujet, depuis les textes militaires des Royaumes combattants jusqu'aux romans populaires de la dynastie Mandchoue. Trois des cinq plus grands romans (que se doit d'avoir lu tout Chinois), où sont mêlés légende et histoire, y font une large place. "Les Trois Royaumes", dans lequel rebelles et conquérants n'ont cessé de puiser des leçons de stratégie militaire ; "Le Voyage vers l'Occident" (Xi Jou Ji) dont le singe guerrier est la vedette ; et "Au Bord de l'Eau" qui est devenu le modèle du roman d'art martial, réunissent tous les ingrédients et développent le catalogue des personnages utilisés par les films du genre. Des romans d'arts martiaux en prose des Tang aux livrets de conteurs des Song, le monde imaginaire des chevaliers ne cesse de s'étoffer, s'inspirant d'exploits réels sur lesquels se greffe tour à tour une catéchèse expliquant les écritures taoïstes ou bouddhistes, ou encore assaisonné à la façon d'une intrigue policière.
La naissance de la République voit éclore le roman de Wu Xia. Deux écoles s'imposent. L'une nordique, basée à Pékin, s'attache à la tradition des conteurs et des romans classiques. L'autre sudiste, située à Shanghai, fait une large place à l'influence occidentale et au "nouveau mouvement littéraire". Bei Zhao est le chantre de la première, Nan Xiang celui de la seconde. Dans les années 30 et 40, Wang Gulu introduit les caractères mélo-romantiques dans le roman de cape et d'épée, en même temps que le cinéma élargit l'audience de cette tradition littéraire. Un créneau que le romancier Woshi Shanren met à profit en développant la saga de Wong Fei-hong (l'un des dix Tigres de Canton) dont plus de 80 adaptations à l'écran seront réalisées. Dans l'après-guerre, ils sont plusieurs centaines d'écrivains à enrichir le filon. Jin Yong est le plus fameux et le plus séduisant. Il renouvelle le genre en lui donnant une densité et une complexité jusqu'alors ignorées (c'est lui qui sera à l'origine de Dong Cheng Xiu Ju -Les Cendres du Temps - Ashes of Time et de bien d'autres films *). A partir des années 60, deux romanciers s'imposent comme principaux fournisseurs de scénarios : le Taiwanais Gu Long et le Hong-Kongais Ni Kuan.
Entre mythologie et légendes, entre histoires fantastiques et contes des mille et une nuits, entre western et films de cape et d'épée, le Wu Xia Pian fait partie intégrante de la culture chinoise. Depuis sa création, la télé HK se gave de ces feuilletons interminables racontant les histoires surnaturelles de chevaliers aux incroyables pouvoirs. Même en France nous y avons eu droit au début des années 80 quand TF1 passait le samedi en deuxième partie de soirée La Légende des Chevaliers aux 108 Etoiles , connu également sous le titre anglais The Water Margins . Certes, nous n'avons jamais eu droit aux inévitables rediffusions, mais il fallait quand même souligner l'exploit de la télévision française gavée de sous-produits américains qui se ressemblent tous.
Désormais, en cette fin de siècle, ces chevaliers romanesques qui nous faisaient tant rêvé, ce n'est plus dans les livres anciens qu'il faut les chercher. Il faudrait se tourner vers les créateurs de mangas et autres jeux vidéo pour voir qui sont les principaux inspirateurs des nouveaux Wu Xia Pian (cf Storm Riders, A Man called Hero ...). Une période est révolue, les inspirations changent, mais les héros sont toujours là. Ils avaient autrefois le visage d'Alexander Fu Sheng, de David Chiang, Adam Cheng ... Maintenant, ce sont Aaron Kwok, Ekin Cheng qui font rêvé les midinettes. C'est la vie !
b) Les éléments essentiels du Wu Xia Pian :
En 1984, Les Cahiers du Cinéma (dans son numéro spécial "Made in Hong Kong") avait tenté de nous donner une définition synthétique du terme chinois "Wu Xia Pian" : Film de cape et d'épée et de chevalerie. Le wu xia pian, issu d'une riche tradition littéraire est l'un des genres fondamentaux du cinéma chinois. Et à ce titre, depuis le muet, a connu différents cycles au sein d'une production ininterrompue. Jusqu'au milieu des années soixante, ce sont les wu xia pian en langue cantonaise qui dominent malgré un essoufflement progressif. A partir de 1966 grâce à King Hu et Chang Cheh, c'est un nouveau style de wu xia pian mandarin qui s'impose. Son âge d'or durera jusqu'en 1970. Depuis le genre a survécu, en particulier grâce au succès des films de Chu Yuan, mais l'essentiel de la production est destiné à la télévision où la suprématie reste intacte.
Certes, les bases étaient données, mais les journalistes ne savaient pas à cette époque ce que Tsui Hark nous concoctait un film qui allait revisiter le genre grâce aux progrès des effets spéciaux et qui allait redonner un nouveau souffle à un genre qui avait tendance à s'encrouter. N'ayant pu voir correctement Zu, les Guerriers de la Montagne Magique (qui était en cours de montage), Olivier Assayas et autre Charles Tesson ne pouvaient pas s'attendre à une refonte exponentielle du genre. Une revisitation qui allait passer vers un fantastique de plus en plus débridé (sans jeu de mots), vers un délire visuel de plus en fou (cf les chorégraphies démentes de Tony Ching Siu Tung dans d'autres productions Tsui Hark comme la série des Swordsman), vers des sous-genres diversifiés au possible (le wu xia pian érotique, comique, gore, playstation ...). Mais il est vrai aussi qu'à Hong Kong, quand un genre de film marchent bien, ils ont une fâcheuse tendance à l'exploiter à fond, à le vider de sa substance originelle. 1993 reste l'année phare, l'année de tous les dangers. Dès janvier 1993, Julien Carbon titrait dans le Butterfly Warriors n°2 : "Le Retour du Sabre". Aujourd'hui, en juin 2000, Storm Riders est la 10° meilleure location de VHS d'après un sondage mensuel des vidéoclubs Vidéo Futur, preuve que le (nouveau) wu xia pian n'est pas mort.
En 1988, les frères Armanet, toujours dans les notes de leur livre (indispensable) Ciné Kung Fu nous délivraient une autre définition du terme qui nous intéresse. Wu Xia signifie "combats valeureux", mais implique aussi une vision du monde. A Hong-Kong, par opposition aux combats à mains nues dits de kung-fu, le wu xia pian a pris une signification plus restrictive : celle de "films de capes et d'épée".
Pour donc tenter de donner une définition la plus précise du Wu Xia Pian, il fallait d'abord revenir sur ses origines, pour ensuite essayer d'en retirer la quintessence.
Nous venons de le voir, les origines du Wu Xia Pian sont assez diversifiées et cette variété va donc influer sur ses caractéristiques. Avec des bases historiques plus ou moins réalistes agrémentées de quelques contes et légendes fantastiques laissant une large place au surnaturel, le cinéma chinois s'est concocté un genre très populaire. Pour nous, occidentaux, bercés par les exploits quasi limpides des Trois Mousquetaires et autres D'Artagnan, les codes des films de "cape et épée" chinois ne sont pas trop clairs. Mais heureusement, le HK CINEMAGIC est là pour éclairer votre lanterne !
Si l'on veut résumer succintement, dans la plupart des wu xia pian, les héros luttent pour la suprématie au sein du Wu Lin dont la hiérarchie est fondée sur la valeur au combat. Le Wu Lin est un univers fantastique, irrationnel, néanmoins, comme tous les lieux de fiction, il très largement codifié.
c) Bibliographie du Wu Xia Pian :
- Pour ceux qui ont envie d'en connaître davantage sur les origines du ciné kung-fu du Shanghai des années 20 à Hong Kong des années 60, sur l'âge d'or des films films de cape et d'épée (1965-1971), sur King Hu le solitaire et Chang Cheh le prolifique, sur Wang Yu le manchot et sur les dames d'épée, je ne saurais une fois de plus trop leur conseiller d'essayer de se procurer le Ciné Kung-Fu des frères Armanet (p33 à 85). Idem pour "Les Lettrés du cape et d'épée" comme Chu Yuan (p155 à 167) et "Les Escrimeurs du Troisième Type" (p 188 à 195). Un grand merci en passant à tous ceux-ci qui m'ont aidé à faire ce dossier.
- Le numéro spécial des Cahiers du Cinéma "Made in Hong Kong" de septembre 1984 propose des articles sur les trois chantres du wu xia pian : King Hu, Chang Cheh et Chu Yuan ; des petites notes mode d'emploi fortes intéressantes.
- Le numéro spécial "Asie" du Cinéphage de juillet-aout 1993 possède un portrait éclairé de Chang Cheh par John Woo (celui qui a mis au goût du jour les wu xia pian en transformant les sabres par des flingues).
- Les Butterfly Warriors (à l'intérieur du Cinéphage) proposent en novembre 92 un article sur La Rage du Tigre , l'une des figures emblématique du wu xia pian. En janvier 1993, ils proposent un article sur "le Retour du sabre" et un sur Histoires de Fantômes Chinois et ses références littéraires.
- Le DVD VISION n°1 de octobre-novembre 1999 possède une critique du DVD de The Enigmatic Case de Johnnie To.
- Les deux grands dossiers de HK :
- n°9 : Le Wu Xia Pian (p34-78)
- n°12 : Le Wu Xia Pian fantastique (p12-51)
Autres HK :
- n°0 : Zu (p16-20) + Lin Ching-hsia (p21-23)
- n°1 : Les Cendres du Temps (p8-13)- n°2 : Butterfly Murders (p38-39) + The Blade (p60-61)
- n°3 : Les Sabreurs manchots (p6-11) + The Blade (p12-15) + Histoires de Fantômes Chinois (p56-58) + L'Auberge du Dragon (p62-67)
- n°5 : Le Temple du Lotus Rouge (24-30)
- n°6 : Alexander Fu-sheng (p89-89)
- n°7 : Evil Cult (p67) + Les Super-Héros de Hong Kong (p80-89)
- n°10 : Blade of Fury (p70-71)
- n°14 sur les Wu Xia Pian de Ho Meng-hua (p54-59)
Jean-Louis Ogé (juillet 2000) |