Avec sa gueule patibulaire, sa grande taille et ses mauvaises manières, Shing Fui On fut l’un des plus célèbres méchants du cinéma hongkongais des années 1980-1990.
Fils de paysans catholiques, Shing Fui On eut une enfance très pauvre. Il avait une sœur aînée et cinq frères. La fratrie se battait sans cesse pour un morceau de gras ou pour avoir la couverture la nuit. Shing quitta l’école à 13 ans parce que ses parents n’avaient plus les moyens pour payer ses frais de scolarité. Son premier job, il le trouva… au studio de la Shaw Brothers. Il y débuta comme simple manutentionnaire, devint ensuite accessoiriste puis assistant de chef-opérateurs, tout en faisant un peu de figuration.
Shing Fui On le reconnaissait lui-même : son adolescence et sa vie de jeune adulte étaient celles d’un voyou. A 17 ans, il quitta la Shaw Brothers. Avec trois potes de la zone, le voilà transformé en videur dans des night-clubs à Mongkok. Bagarres, mauvais coups, Shing était alors bien connu de la police. Il fit partie des gangs, était membre de triades. Impliqué dans une sale affaire, il fut même condamné à quatre ans de prison. Son arrestation eut lieu juste après la venue au monde de son premier enfant. Libéré deux ans après pour bonne conduite, il entendit son fils le traiter de voyou à son retour à la maison. Il s’est alors juré de reprendre le droit chemin.
Il retourna dans le milieu de l’audio-visuel. Homme à tout faire sur les plateaux, figurant, il fut même assistant chorégraphe auprès de Bruce Leung, qui était une vedette sur la chaîne RTV/ATV et un pote d’un de ses frères aînés. A la même époque, il se fit remarquer par un certain Danny Lee. On est à la fin des années 1970, Danny Lee était alors une star de la Shaw Brothers et ambitionnait de créer sa propre société de production. Il cherchait à s’entourer d’amis comédiens capables de l’épauler également sur le plan de la production. C’est ainsi que Shing Fui On devint acteur de second rôle et parfois technicien dans les premières productions de Danny Lee au début des années 1980 – à côté d’autres gueules comme Wong Ching, Kent Cheng, Lung Tin Sang, Tommy Wong Kwong Leung ou encore Parkman Wong, qui se sont connus à la Shaw Brothers pour la plupart.
Selon Shing Fui On lui-même, sa première véritable expérience de comédien, il l’obtint sur The Law Enforcer de Danny Lee (1986), où il avait un rôle important pour la première fois de sa carrière. L’expérience fut difficile mais enrichissante pour Shing. Son jeu d’acteur était catastrophique aux yeux de Lee, qui ne cessait de l’engueuler durant tout le tournage. Un jour, Lee avait même failli l’étrangler : il venait de bousiller la superbe Porsche de la production. Shing Fui On était payé au lance-pierre, mais il s’en moquait, conscient que la réussite était au tournant avec ce rôle. Et il avait raison. Son interprétation lui permit d’être nominé au Hong Kong Cinema Awards du meilleur second rôle cette année-là. Depuis lors, Shing vouait une profonde reconnaissance à Danny Lee, qu’il considérait comme son « maître ». C’est ainsi qu’il prit fait et cause pour Lee quand celui-ci reprochait à Stephen Chow (à qui il donna sa première chance au cinéma aussi) son ingratitude...
Le public et les professionnels commençaient à se souvenir de la tête de truand de Shing Fui On. Il reçut de plus en plus de propositions ; neuf fois sur dix, il était le mauvais personnage de l’histoire. Sa carrure (1.85m), sa démarche rustre, ses sales manières, sa voix vociférante et ses mimiques menaçantes firent de lui l’un des méchants les plus mémorables et les plus populaires du cinéma hongkongais des années 1980. Shing Fui On se targuait d’être dans le « Top 4 » des plus grands bad guys du cinéma de Hong Kong de cette époque, aux côtés de Roy Cheung, William Ho Ka Kui et Tommy Wong Kwong Leung : en effet, ces quatre types incarnaient alors d’ultimes « raclures » aux yeux du public.
L’apothéose viendra avec The Killer de John Woo (1989), où Shing fera face au célèbre duo formé par Chow Yun Fat et Danny Lee. Avec ce film, il entra dans le club très envié des méchants de cinéma les plus haïs par les spectateurs. On dit que le public hurlait de colère et réclamait de vive voix sa mort pendant les projections, face à ce qu’il faisait subir aux héros à l’écran ! Au cinéma, Shing Fui On avait d'ailleurs l'habitude de mourir d'atroces façons après avoir commis bien des abjections, et en général bien achevé par le héros du film. Il révéla que, bien souvent, pour faire des économies, les producteurs refusaient d'engager des doublures pour les seconds rôles : Shing se retrouvait réellement blessé à de multiples reprises lors des tournages.
Grâce à quelques brèves mais marquantes apparitions comme dans Chase A Fortune de Liu Wai Hung (1985) ou dans Prison On Fire de Ringo Lam (1987), Shing Fui On gagna le surnom de Daai So/Big Crazy/Grand Taré. En réalité, on l’appelait déjà ainsi quand il était môme, car il était déjà un peu barge. Ce sobriquet allait lui coller à la peau jusqu’à la fin de ses jours. D’abord avec une connotation un peu péjorative, il acquit au fil du temps un sens affectueux, en épousant l’évolution de la carrière de Shing. En effet, comme tout comédien qui se respecte, Shing Fui On cherchait à s’échapper de son image de gros méchant cinglé assez caricatural. Le voilà comique, bon père de famille ou même… brave flic. Dans ses apparitions publiques, il se révélait être un bonhomme simple et drôle.
L’étoile de Shing Fui On brilla jusqu’au début des années 2000. Payé 100 à 200 HK$ à ses débuts, il obtenait désormais entre 500 000 et 1.000 000 de HK$ sur chaque projet. Abonné aux seconds rôles, Shing réussissait parfois à se hisser jusqu'en haut de l’affiche, comme dans The Blue Jean Monster d’Ivan Lai en 1991. Avec le déclin du cinéma de Hong Kong vers la fin des années 1990, Shing Fui On se tourna vers la télé… et le marché chinois. Il devint comédien à la TVB avant d’entamer une seconde vie professionnelle en Chine continentale. Au début des années 2000, Shing Fui On, qui avait pris un agent chinois, fit une belle petite carrière sur le continent en tournant dans des séries télévisées, des publicités et… en devenant chanteur – deux ou trois «tubes» sur l’amitié ou le sens de l’honneur quand même ! Shing Fui On prétendait avoir joué dans 350 films et 600 épisodes de feuilletons télévisés durant toute sa carrière. Mais était-ce son éducation chrétienne, ou un reste de pudeur ? Toujours est-il que Shing apparaissait peu dans les productions de catégorie 3 de la grande époque.
Shing Fui On menait un grand train de vie dans les années 1990. Il dépensait alors sans compter, pour nourrir sa famille et ses nombreux parents proches, mais aussi pour entretenir sa cour composée d’amis, de bras droits, de parasites ou de starlettes… Il avait des affaires dans la restauration à Hong Kong et en Chine. Il reconnaissait lui-même qu’à cette époque, il assumait un rôle de « big boss ». Ayant des relations, il aidait certains amis et comédiens à sortir du pétrin. Nick Cheung, par exemple, lui doit une fière chandelle. Il devint « père adoptif » pour comédiennes en herbe, qui étaient alors protégées des convoitises de truands.
Venu de la campagne, Shing Fui On n’avait jamais renié ses origines. Au faîte de sa gloire, il se fit élire maire du village de Nam Wei, dans le district de Sai Kung, où il a grandi. Il s’était même présenté aux élections législatives de Hong Kong. Ayant des ambitions, et soucieux d’effacer les épisodes obscurs de son passé, Shing Fui On cultivait alors une image de brave gars proche des gens, « faux méchant de cinéma », bon chrétien ayant connu la rédemption, en apparaissant dans des émissions télé populaires ou dans des manifestations d’œuvres caritatives.
Sportif, Shing Fui On était aussi connu à Hong Kong pour ses participations aux courses d’automobiles, son autre passion avec le cinéma. Il avait couru à Macau, en Thailande, au Japon et dans bien d’autres pays d’Asie. Il avoua que l’expérience des compétitions à l’étranger lui avait montré que les pilotes chinois avaient encore beaucoup à apprendre. Il possédait jusqu’à six bolides. Il était également un pilier de l’équipe de foot composée d’artistes de l’Île. C’est ainsi qu’il devint très ami avec Alan Tam, Eric Tsang, Law Kar Ying, Andy Lau ou encore Wan Chi Keung – comédien, ancienne star du ballon rond et mentor de l’équipe. Il prétendait être un très bon gardien de but (« C’est Law Kar Ying qui était mauvais à la défense », avait-il l’habitude de plaisanter ).
En 2004, sur le tournage de Himalaya Singh de Wai Ka Fai, Shing Fui On saigna du nez. Un examen médical lui révéla alors la présence d'un carcinome nasopharyngé, à un stade avancé. Les médecins lui donnaient quatre mois de vie. Finalement, il remporta une victoire miraculeuse contre sa maladie, mais en sortit très affaibli... et appauvri. Pour venir à bout de cette tumeur « grosse comme un œuf de poule », Shing Fui On était prêt à dépenser toute sa fortune personnelle. Le capital amical fondait également comme neige au soleil. Sa maladie lui permit de faire le tri dans ses relations. Les vrais mais rares amis sont restés à ses côtés. Un jour, il discuta avec Wan Chi Keung (qui luttait contre le même mal) et lui avoua qu’il était au bord de la ruine et qu’il se faisait du souci pour ses proches, craignant un malheur prochain. Wan se proposa alors de lui payer ses frais de soins. Trop fier, Shing n’osait pas emprunter auprès des amis qui lui restaient. Il était obligé de retravailler. Mais le sachant malade, les propositions se firent désormais rares. Il réussit encore à décrocher quelques rôles à la télévision et au cinéma. On le vit ainsi, physiquement très diminué, dans The Detective des frères Pang en 2007 ou dans Bodyguard: A New Beginning de Cheung Chee Keong en 2008. Il s’investissait de nouveau dans les bars et restaurants, avec plus ou moins de succès. Clopin-clopant, Shing Fui On essayait de reprendre une vie normale, avec la crainte d'une résurgence du mal. Ayant le sens de l’humour, il aimait à faire des blagues sur les cancéreux en compagnie d’un autre ancien malade, son pote Law Kar Ying.
Au printemps 2009, c’est la rechute. Shing Fui On dut être admis aux soins intensifs en juillet. Le sachant mourant, ses plus proches amis comme Nick Cheung, Alan Tam ou encore Eric Tsang venaient souvent lui rendre visite. Tous espéraient une nouvelle rémission. Ils prétendaient devant les journalistes que Shing allait incessamment sortir d’affaire. Mais le second miracle n’a pas eu lieu. Shing Fui On décéda au Hong Kong Baptist Hospital, dans la nuit du 27 août vers 23h45, entouré des siens...
VTL (Août 2009)
Sources : Sina et Baidu |