Beaucoup ne verront dans ce film qu'une machine spectaculaire tantôt jouissive, tantôt fatigante, selon son degré d'acceptation de la folle énergie que déploie le réalisateur dans son film. Et pourtant, Detective Dee 2 : La Légende du Dragon des Mers n'est pas un film vide de sens destiné uniquement à l'amusement.
Comme dans toutes ses œuvres, le réalisateur joue d'allégories et de métaphores pour faire passer le vrai enjeu du récit. Si le premier Dee était facile à décoder, ce nouvel épisode cache davantage son jeu. Car ici, il ne faut pas croire que c'est Dee qui compte. D'ailleurs toujours dans l'excellente interview de Mad Movies n°276, Tsui Hark donne le véritable centre de gravité du film. Il s'agit de la relation amoureuse entre un lettré et une courtisane. Or leur relation passe par la poésie. L'art et l'artiste occupent en fait un deuxième niveau de lecture, tout le film étant une allégorie sur l'artiste et sa position dans la société. Ceux qui prétendent que le film manque de cohérence ou qu'il n'a pas de consistance, n'ont pas cette clé en tête. Car avec cette clé, on peut observer que le film est d'une grande complexité et qu'il est d'une rigueur implacable quant au traitement de son véritable sujet.
Dès son premier film, Butterfly Murders (1979), Tsui Hark n'a eu de cesse de se questionner sur la place de l'artiste dans la société chinoise. Avec Detective Dee 2 : La Légende du Dragon des Mers le réalisateur met en scène les grands enjeux d'un cinéma chinois actuel qui connaît un grand essor économique, mais qui doit aussi affronter de nombreuses difficultés. Avec la richesse du discours tenu ici, il faudrait un article complet à ce sujet, contentons nous de quelques pistes.
La courtisane peut représenter la muse, le maître de thé l'artiste, le thé l'art chinois, l'urine ce que l'on doit servir au régime en guise d'art, la monstruosité les attaques contre la pureté du geste poétique… Comme pour le premier Dee, Tsui hark fait preuve d'un violent pessimisme. L'artiste est coincé entre un régime autoritaire et un groupe qui veut s'emparer de son art, soit en l'achetant, soit en le mettant en esclavage (les producteurs capitalistes). Sa muse est constamment en danger, que ce soit à cause du peuple, des autorités ou des opportunistes. La seule issue de secours viendra de l'exil. Mais le poète gardera quelques stigmates des violences qu'il aura subit.
On pourrait penser qu'il y a là une forme d'autobiographie de Tsui Hark à travers le récit du maître de thé. Comme lui, il a connu la gloire et l'infortune, la perte de sa muse, la transformation en monstre, l'exil… Mais on peut faire l'hypothèse que l'artiste se cache surtout dans ce personnage grotesque qu'est le docteur Wang Pu. Autoportrait satirique en savant fou grimaçant, il est incarné par un acteur au jeu excessif comme Tsui Hark quand il jouait dans certains films des années 80. Il est mi-homme, mi-monstre comme le talent de Tsui Hark qui produit des films extraordinaires ou des objets monstrueux et bizarres (Legend Of Zu). Inlassable chercheur de formules, comme on le voit à la fin du film, c'est aussi la facette d'un Tsui Hark qui remet inlassablement ses acquis pour trouver d'autres formules cinématographiques…
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